Du côté de Ju: Adeta, mon beau village

Du 31 octobre au 27 novembre

L’Européen a une montre, tandis que l’Africain, lui, il a le temps.

Me voilà donc repartie vers le Togo, laissant Phil à Ouagadougou bien occupé par ses contrats de photographe pour l’ONU. Un interminable trajet en bus, étouffant et retardé par un accident bloquant la route (comme il se doit ici :-), m’emmène jusqu’à Lomé. Je retraverse des paysages connus en sens inverse, la savane désertique devient de plus en plus arborée au fil des kilomètres parcourus, jusqu’à ce que le vert de la végétation tropicale explose avant d’atteindre l’océan et sa douce fraicheur à Lomé.

Le temps de remplir quelques petites formalités administratives, et nous voilà, moi et Patrick, un autre volontaire, filant dans un taxi brousse en direction d’Adeta, le village où notre association travaille actuellement. Adeta est un petit village de 12000 habitants, entouré de collines verdoyantes et de plantations d’ignames, de haricots, de café, etc… C’est un village africain des plus classiques, écrasé sous le soleil brulant. Il s’organise autour de sa route principale, bordée de cahutes aux toits de paille ou de tôle procurant de l’ombre aux petits vendeurs d’eau ou de jus de bissap en sachets, de bananes, de beignets, ou du traditionnel et invariable étal de tomates, oignons et piments, ou encore aux tatas proposant dans leurs casseroles du riz sauce ou de la pâte (le plat local constitué d’igname pilé ou de maïs moulu et qu’on mange avec une sauce). Au loin, on entend la musique résonner, tout le temps, partout. Une multitude de pistes de latérite et de petits sentiers tranquilles partent de la route en direction des fermes et des champs entourant le village. Comme tout bon village, Adeta a ses écoles (3 !), son dispensaire, ses latrines en périphérie, ses 50 coiffeuses tresseuses (ayant chacune leurs apprenties) et ses innombrables garagistes, conducteurs de taxi moto, couturières et tailleurs. Les femmes aux pagnes colorés y déambulent tranquillement, droites comme des i, leurs bébés en écharpe et un incroyable empilement de bric-à-brac dans la marmite en équilibre (toujours stable) sur leur tête. Au passage des volontaires blancs, les petites voix des enfants rabâchent encore et toujours leur éternel refrain « Yovo Yovo bonsoir, ça va bien, merci », dans des explosions de rires cristallins. Et des enfants ici, il y en a des centaines, des milliers, ils courent partout et égaient la vie. Les moutons, chèvres, poules, poussins punks (peints en bleu fluo pour échapper à l’œil vif des rapaces) courent partout. Le lundi, c’est l’effervescence du marché, et chacun vient boire sa calebasse de tchoukoutou (la bière de mil locale) en riant avec son voisin. Bref, le village africain classique. Tout n’est pas rose, bien entendu, ca reste l’Afrique. La pauvreté est omniprésente. Les enfants vendent leurs bricoles au lieu d’être à l’école. Des filles-mères promènent leur enfant en écharpe. Les gens malades, ruisselant de sueur paludique ou à la toux rauque, sont bien trop nombreux. Des décharges à ciel ouvert jonchent les bords de routes et les abords de maisons. Les sacs plastiques noirs ornent les branches des arbres tels des décorations de noël. Mais malgré la pauvreté, la maladie, la crasse et la puanteur, même s’ils souffrent comme ils le disent parfois, rien n’affecte le moral de fer des Africains et ne leur enlève leur sourire aux dents blanches.

Je suis venue ici dans le cadre de l’établissement d’un programme de sensibilisation VIH-SIDA-IST à Adeta. Le taux de prévalence HIV s’élève ici de 3.9 à 20% (!!!) selon les sources (statistiques officielles du gouvernement, médecin en chef du centre médico-social, sage femme spécialisée dans HIV, et responsable croix rouge). Tout le monde s’accordant sur le fait que le premier chiffre est d’office une large sous-estimation. Soit un partenaire sexuel sur 20 ou sur 5, c’est de toute manière trop. Dans l’assoc, nous sommes un total de 5 volontaires européens, avec Servane, Patrick, Nunzio et Coralie. Il y a aussi les membres togolais de l'assoc : Jacqueline, la secrétaire et trésorière, enceinte de 8 mois ; Ouga, un jeune togolais de 21 ans, motivé et impliqué dans l’assoc ; Olivier, un ancien responsable de l’assoc qui ne manque jamais de venir examiner le contenu de nos casseroles ; et Benjamin, le responsable des projets sensibilisation HIV et microcrédit, qui fait office de sage et est très respecté ici. Le programme sur lequel je travaille est de mettre en place un programme HIV dans le village et alentours, programme qui devra rester en place après notre départ, les autres volontaires restant au minimum 2 mois, et au maximum 6. Il y a de quoi voir venir et assurer la continuité. Afin de mieux comprendre les habitudes locales susceptibles d’avoir des conséquences sur la transmission du virus (pratiques sexuelles, scarifications, excision), nous commençons par passer des heures dans la cour, à l'ombre, à discuter avec les locaux, surtout des jeunes de 15 à 25 ans. C'est très tranquille et une relation humaine enrichissante s'établit à force de se voir quotidiennement… Nous avons ainsi pu créer un jeu de cartes avec de bonnes et de mauvaises pratiques pour sensibiliser aux pratiques dangereuses au niveau de la transmission du VIH... c'est marrant, ce genre de travail ressemble un peu à ce que je faisais à l'institut des sciences naturelles, je me sens à l'aise et expérimentée. Nous avons ensuite commencé la tournée des apprentis coiffeuses; couturières, menuisiers, garagistes etc… un moyen de toucher les jeunes ailleurs qu'à l'école. Nos causeries, telles qu’on les appelle ici, attirent des villageois curieux qui viennent se greffer à l’assemblée. Nous sommes ébahis par le nombre d’idées reçues complètement fausses véhiculées ici, et de la méconnaissance qu’on les jeunes filles de leur propre corps. Nous répondons le plus souvent à des questions d’éducation sexuelle de base (par exemple sur les changements subis par le corps à l’adolescence, ou la contraception), satisfaits de l’intérêt suscité et que les jeunes osent nous les poser. Nous créons une permanence hebdomadaire pour permettre aux plus timides de poser ces questions en toute discrétion.

Dans ce village, les journées s’écoulent tranquillement, en l’absence de tout stress, un fléau typiquement occidental (des fléaux, ils en ont déjà bien assez ici !). Une tranquillité et une douceur de vivre difficile à décrire et à se représenter depuis l'Europe je pense. Loin de nous le rythme effréné de l’Europe, l’enchainement furieux du métro-boulot-dodo-famille-potes-fiesta qu’on vit chez nous. Ici, on prend le temps, le temps de causer de tout et de rien, avec des inconnus, de palabrer des heures durant sous l’arbre au milieu de la cour ou sur un banc le long des maisons…. Au début de mon séjour en Afrique, j’aurai qualifié ce rythme comme étant une « attente que cela passe » mais aujourd’hui, après 3 mois sur ce continent, je me rends compte du caractère oh combien humain de ce rythme et du temps pris à discuter et échanger. Je me rends compte ici qu’on ne peut aimer l’Afrique en la sillonnant de droite à gauche. Pour la comprendre et l’aimer, rien de tel que de rester à un seul et unique endroit, de commencer à faire partie du paysage local, et de lui consacrer du temps. Comme Coline me l’expliquait, l’amour de l’Afrique s’exprime au travers de toute une série de petits moments sans importance réelle, des souvenirs attachants et qui deviennent inoubliables. C’est Jacqueline, la douceur incarnée, qui m’accompagne au marché pour choisir un pagne. C’est écouter Benjamin faire le programme le lundi matin, avec sa douce façon de parler toute africaine, dans un style très officiel et en détachant bien ses mots, empreints de sagesse. C’est rire face au show d’Olivier, qui ne manque jamais de nous rappeler les citations des grands de ce monde et d’en faire une imitation théâtrale. C’est voir briller les yeux de Ouga aussi fort que ses dents lorsqu’on prononce le mot pâte en parlant du prochain repas. C’est le petit François, 10 ans, qui passe nous voir de temps en temps et m’esquisse soudain un portrait en 2 temps 3 mouvements. C’est son sourire timide lorsqu’on lui offre un papier et un crayon pour qu’il puisse développer son don. C’est les bons repas partagés tous ensemble autour de la table, merci à nos cuistots attitrés, Jacqueline et Ouga. C’est mes longues conversations avec Chantal, 20 ans, une petite de 3, bientôt partie au Ghana pour travailler. C’est pouvoir percer avec elle les barrières des tabous. C’est la voir danser comme une déesse au son des djembés et rire aux éclats. C’est l’angoisse partagée avec Servane, lorsqu’au milieu de la nuit, on entend une clé tourner dans la serrure de notre porte et que, prêtes à nous battre pour nous défendre, on se rend compte que ce n’est que Georgi, la folle du village, ouf. C’est être tous ensemble autour du mortier, quand chacun s’essaie à piler l’igname et rire de la maladresse des européens dans ce domaine face à cette pâte collant au pilon. C’est la petite Martine, 4 ans et pleine d’énergie, qui vient jouer avec moi et semble fascinée par mes cheveux (blonds et lisses, vous imaginez ?) ou mes colliers. C’est aussi quand elle toque à ma porte à 6h00 le matin de mon départ (hum) pour m’apporter un sac d’oranges (adorable). C’est les volontaires qui harcèlent Ouga pour être sûr qu’il a bien été au collège et qu’il a fini ses devoirs.

J’ai beaucoup aimé ma vie ici, cette expérience enrichissante et profondément humaine, malheureusement trop courte à mon goût. Voici maintenant le temps de quitter Adeta, ces 3 semaines ont filé à une vitesse incroyable. Je pars un peu comme une voleuse, sans m’attarder sur les adieux, mais après une fiesta d’au revoir mémorable au son des djembés et bien arrosée de sodabi (l’alcool de palme local, qui fait un bon 70°C au moins… un désinfectant quoi, pwaaa ! mais on s’y fait). Je reprends la route, en compagnie de Servane en direction de Lomé (et d’un bon steack haché frites ketchup mmmmmmh), puis pars vers Ouaga où Phil m’attend pour de nouvelles aventures au Burkina !

et pour agrémenter le récit, voici quelques photos... mais soyez indulgents, cette fois, je n'avais pas mon photographe professionnel attitré avec moi!

http://www.facebook.com/album.php?aid=231164&id=591557223&l=47036ef293