Nous passons la frontière et nous retrouvons au Laos, ce pays qui nous a tant plus il y a 3 ans et demi et où nous nous étions juré de revenir… pari dangereux car il implique le risque d’être déçus ! Une première impression que nous ressentons fortement lorsque le bus nous abandonne au bord de la route face à l’embarcadère desservant l’île de Don Det, une des îles de l’archipel des 4000 îles parsemant le fleuve Mékong au sud du pays. Nous n’avions nullement prévu cette destination au programme mais elle s’y impose subitement, probablement suite à une petite commission donnée par le conducteur de bateau au chauffeur, qui a fait oublier à ce dernier où il était réellement sensé nous déposer. Forcés et contraints, nous embarquons, dans la lumière du soleil couchant, dans le bateau nous menant à Don Det, petite île bâtie de bungalows bon marché pour backpackers en mal de cocktails (servis en « buckets »), de fruit shakes et de pizzas version « happy », c’est-à-dire améliorés selon l’humeur du cuistot de marijuana, de champignons ou de yaba (les métamphétamines locales). Tiens, un léger air de Vang Vieng règne ici. Ce n’est pas trop notre trip cette version du Laos dénaturée par un tourisme décadent et où, en retour, le touriste est plus considéré comme du bétail que comme un être humain! Nous y passerons finalement quand même une bonne soirée à discuter avec un sculpteur portugais et un couple germano-russe en sirotant des Beer Lao dans de grands verres remplis de glace pillée (c’est ainsi que la bière nationale se boit ici). Le lendemain matin, nous nous dépêchons de fuir l’endroit par le premier bateau afin de nous rendre à notre destination initiale, Don Khong, la plus grande des îles de l’archipel, bien plus authentique et relaxante. Malgré la chaleur accablante (on dépasse toujours les 40°C), nous partons en faire le tour à vélo… une quarantaine de kilomètres qui nous sembleront bien longs dans la fournaise ! Tout comme au Cambodge, la nature est fortement brûlée par le soleil les habitants sont invisibles, se protégeant du soleil brûlant dans ou sous leurs maisons … il nous reste les buffles, mais même eux semblent déprimer, privés de leurs flaques de boue où ils pataugent en général ! Nous traversons tout de même quelques rizières bien vertes pourvues d’un ingénieux système d’irrigation qui permet 3 récoltes par an au lieu d’une seule. Epuisés et ruisselants, Nous faisons une pause dans une petite superette qui fait aussi office de bar et resto… Nous regardons avec envie ce que nous croyons être des spare-ribs grillent sur le barbecue, émettant une délicieuse odeur de viande. Les 3 clients présents, déjà grisés par le laolao (l’alcool de riz local) commencent rire aux éclats. Ils nous désignent successivement la grille du barbecue et un chien dormant sous la table… OK, c’est du chien, nos envies de spare-ribs s’évaporent instantanément, mais nous nous retrouvons bien obligés d’en goûter au moins un petit morceau lorsqu’ils nous le proposent, taquins… résultat : une viande sèche et coriace, qui ne vaut vraiment pas un bon gros steak ! Nous en faisons bien vite passer le goût par un petit shot de laolao…
La chaleur nous abat, l’absence d’habitants nous déprime, les endroits trop touristiques et pas assez humains nous déçoivent, la fatigue du voyage long terme nous prendrait-elle, sommes nous en pleine baisse de régime? Pas question de se laisser abattre, nous voyageons pour en profiter ! Nous décidons donc de nous rendre sur le plateau des Bolovens, qui bénéficie d’un climat plus frais. Après quelques heures de bus, nous atteignons Tat Lo, un village construit au bord d’une rivière, et à partir duquel il est possible de faire pas mal de balades dans les villages voisins, très traditionnels. Une des guesthouse du village possède 3 éléphants, qui se baladent librement dans le coin et broutent paisiblement. Chaque jour, leur cornac leur lave le dos dans la rivière, au ravissement des spectateurs, locaux ou étrangers.
Et là, ca y est, nous le retrouvons notre Laos d’antan, ce Laos tellement simple et humble que nous avions tant aimé. Pour vous raconter le Laos profond, j’ai choisi de ne vous en raconter qu’un instant, bref mais tellement beau, qui suffit à résumer la vie ici. En fin de journée, nous nous rendons dans un petit village voisin de Tat Lo, construit de maisons de bois sur pilotis. Entre les poules et les vaches, des enfants parcourent en courant ses ruelles de terre, venant à notre rencontre le regard empreint de curiosité. Nous les suivons et descendons vers la rivière dans la douce lumière descendante. La rivière, peu profonde, circule entre de grosses pierres et le courant forme des remous aux endroits peu profonds. Le long de la rive s’alignent de petits jardins d’herbes et de légumes, délimités par des barrières construites en bambous. Une adolescente en sarong arrose méticuleusement les plantations, faisant des allers-retours vers la rivière pour remplir son arrosoir. Sur l’autre rive, une vieille femme attrape des larves de fourmis dans les arbres, à l’aide d’un panier porté au bout d’un long bâton. Nous nous demandons si c’est le dessert pour ce soir ou carrément le repas en lui-même (n’oublions pas que, malgré le sourire et la douceur de ses habitants, le Laos est un des pays les plus pauvres du monde). Des enfants plongent depuis de gros rochers et se laissent entraîner par le courant comme dans un toboggan aquatique, ils jouent, nagent et s’éclaboussent dans de grands cris et éclats de rire. Au bord de l’eau, des femmes habillées d’un sarong lavent du linge, le frottant vigoureusement contre une pierre plate pour plus de propreté. Un jeune père de famille baigne affectueusement son bébé et le lave. Il le fait glisser dans le courant sur une pierre lisse, ce qui fait rire le petit aux éclats. Une femme portant un grand chapeau pêche à l’aide d’un panier en osier en forme d’entonnoir. Plus en amont, un père de famille embarque dans une petite barque avec 2 de ses enfants, les aînés, et les emmène dans une partie calme de la rivière, où il leur enseigne patiemment l’art du lancer du filet de pêche.
A un moment, les habitants du village affluent, vêtus de sarong et portant leurs affaires de toilette dans de petits paniers en plastiques. C’est l’heure des ablutions. Gênés, nous décidons qu’il est temps de partir et de les laisser à leur « intimité », guidés par notre éducation bien occidentale.
Ces scènes de vie tellement humaines, d’une simplicité et d’un naturel appartenant à une ère définitivement révolue pour les européens que nous sommes, il suffit, lors d’une balade dans la région, de garer la mobylette au bord de n’importe quel pont surplombant une rivière pour les vivre encore et encore, discrètement assis sur la rive. Et, à discuter avec les Laos, on se rend compte que, malgré leur grande pauvreté et l’absence de biens matériels, ils sont un peuple heureux, dont la première qualité est de se désintéresser de l’argent et du profit, tant qu’ils ont de quoi vivre au jour le jour. « Demain ? Pourquoi s’en inquiéter, tu ne sais pas ce qu’il peut t’arriver. L’important, c’est maintenant ». Et quand on leur parle des pays occidentaux et de leur confort de vie, ils haussent les épaules et te répondent que l’éden est probablement au Laos, étant donné que « les Falangs (les blancs) qui y viennent ne désirent qu’une seule chose, c’est y rester ». :-) Pourquoi vouloir vivre dans un pays froid où chacun s’enferme seul chez lui face à sa télévision individuelle, alors qu’ici, c’est tout le village qui se réunit pour la regarder une fois la nuit tombée, et qui rit, qui s’indigne, qui discute ou qui chante ensemble (oui, ici encore, le karaoké remporte un vif succès, quand les habitants savent lire). Le Laos a de belles leçons à nous donner, nous ouvrons de grandes oreilles pour les recevoir et essayer de les garder…
Nous passons une grosse semaine dans notre petit cabanon au fond des bois, à profiter de Tat Lo et de ses environs. Durant cette semaine ont lieu le tremblement de terre et le tsunami au Japon. A Tat Lo, personne n’est au courant de rien et nous en entendons finalement parler 2 jours plus tard par l’intermédiaire de SMS envoyés par nos familles. Nous prenons par conséquent des infos sur internet (qui était de prime-à-bord beaucoup trop cher dans ce coin paumé du monde, mais qui devient bien utile dans de telles circonstances, en l’absence de tout journal écrit ou de télévision satellite). Les nouvelles nous laissent inquiets et horrifiés par l’ampleur des pertes humaines et des conséquences environnementales. Les réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima menacent d’exploser. Les nations du nord tremblent devant la menace d’un nouvel accident nucléaire. Et ici, personne n’est au courant de rien. Nous nous demandons si ca aurait aussi été ainsi en cas de passage d’un nuage radioactif comme celui de Tchernobyl. Ces hauts parleurs qui braillent du matin au soir et nous réveillent chaque jour à l’aube, diffusant on ne sait quels messages, auraient-ils averti les habitants de se cloisonner, eux et leurs innombrables enfants, dans des bâtiments de béton si rares dans la région ? Non, il est fort probable que, dans un tel cas, l’information soit simplement tue pour éviter tout mouvement de panique.
Après une grosse semaine à profiter de ce village du bout du monde, il est temps de revenir à la réalité et de rejoindre la capitale, où Phil a rendez-vous avec un représentant des Nations Unies du Laos. Suite à son contrat de volontaire au Burkina Faso, il les avait contactés pour leur proposer ses services de photographe bénévole. Deux longues journées de bus nous emmènent vers un énorme double cheeseburger-frittes, un véritable festin après 3 semaines de riz et de soupes aux nouilles. Un régal dégusté dans un petit bar belge, le Chokdee Café, tenu par Vincent, originaire d’Arlon, qui exporte nos bonnes vieilles bières et recettes du terroir. La température est descendue à 14°C et il pleut (exceptionnel pour la saison, normalement chaude et sèche, les locaux nous disent ne jamais avoir vu cela - encore une anomalie climatique de trop de laquelle nous auront été témoins pendant notre voyage dans les pays du sud !). Un froid pluvieux, une bonne bière belge, un tableau de suggestions proposant chicons gratins, waterzooï et carbonnades, une déco et une ambiance de brasserie bruxelloise, on se croirait presque rentrés à la maison :-) Entre 2 réunions avec l’ONU, nous découvrons Vientiane, petite capitale tranquille, à l’image du reste du pays, qui se met doucement en marche vers la modernité, « sassa » comme on dit ici (doucement, doucement). Le soleil étant revenu, nous en parcourons les rues à vélo, traversant ses temples, ses centres commerciaux en phase de modernisation, les abords du Mékong où s’installent de petits vendeurs de nourriture et où les locaux viennent faire un peu de sport « en parc », sur des machines de musculation en plein air. Nous allons admirer le Tat Luang, véritable emblème dorée de la ville, et tombons par hasard sur un petit festival. Des tentes ont été dressées à l’extérieur du temple, proposant nourritures et boissons. Les gens font la fête en famille et entre amis, et s’adonnent à leur activité préférée, le karaoké, chantant dans un micro qui tourne de main en main dans la foule. De temps à autre, ils partent en groupe derrière un moine faire le tour du temple en chantant. Le cortège brandit des banderoles de billets collés les uns aux autres et récolte les dons de la foule généreuse. Des fidèles quittent le cortège et montent les marches du temple, à l’intérieur duquel sont scandées des prières, interrompues par moment par des jets de riz au sein de la foule et ponctués d’éclats de rire. Puis la prière reprend, avec le plus grand sérieux.
Notre arrivée ne passe pas inaperçue. En 2 secondes, je me retrouve embarquée par Noï, une jeune laotienne, qui m’installe à sa table familiale, me baragouine les 3 mots d’anglais qu’elle connait, et m’initie au sport du jour, à savoir l’à fond de Beer Lao (oui, parmi les 3 mots d’anglais de Noï, il y a Bottom-up). OK c’est bon, je connais, mais nous sommes en pleine après-midi, il fait 35°C, je n’ai rien mangé de la journée, j’essaie de refuser poliment, elle le prend comme une offense, OK nous nous inclinons avec Phil qui m’a rejointe. Le festival se termine relativement tôt, mais l’hospitalité de Noï ne s’arrête pas là : elle nous emmène dans sa maison familiale où la fête continue, à grand coups de casiers de Beer Lao. La sono à fond, les voisins rappliquent et font la fête avec nous, tout le monde boit et danse dans une bonne humeur et un partage bien laotiens. Et oui, la fête fait partie intégrante de la culture laotienne, et nous découvrirons vite que quelques verres suffisent à décoincer ces gens d'ordinaire réservés.
C’est donc un peuple accueillant, festif et d’une simplicité et d’une humilité touchantes que nous avons retrouvé au Laos, tel celui que nous avions quitté il y a 3 ans de cela.
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