Depuis Bangkok, un bus nous emmène à la frontière cambodgienne, où nous seront vite pris en otage par la mafia des taxis (le Lonely Planet nous avait prévenus, mais on s’est levé trop tard et on a raté le seul bus public !), et, ne pouvant faire autrement, nous nous résoudrons à payer le prix fort pour rejoindre la ville de Siem Reap (si 10 euros peuvent être considéré comme un prix fort pour 2 heures 30 de taxi).
Une surprise nous attend là-bas. Après avoir traversé des paysages très ruraux, de paysans travaillant leur champ à la main et avec des charrues tirées par des buffles, et replongé de 50 ans dans le passé niveau progrès comparativement à la Thaïlande, nous découvrons le quartier touristique de Siem Reap, extrêmement développé et qui regorge de ressort luxueux et de petits restos et bars sympas. Nous y trouvons une guesthouse plus modeste et partons déguster un délicieux repas dans une ambiance décontractée de bougies et fontaines… Au menu, l’amok, le plat national : du poisson cuit dans une feuille de bananier avec de la citronnelle, du lait de coco et du piment, qui fait un bien fou après la journée passée sur la route!
Par contre, lorsqu’on sort du quartier touristique de Siem Reap, on se retrouve au Cambodge, le vrai, l’authentique…. des pistes de poussière rouge, des maisons de bois sur pilotis le long de la rivière, des rizières à profusion, des moines qui sillonnent les rues, protégé par leur ombrelle orange, qui retournent au temple leur bol à riz sous le bras après avoir récolté l’aumône, des enfants partout, de tout âge, à pied ou à vélo, dans un arbre ou dans la rivière, qui nous saluent de « hello, how are you ? » dès qu’ils en ont l’occasion. Nous nous rendons vite compte que les Cambodgiens sont un peuple accueillant et bavard, et que de nombreux habitants possèdent un anglais particulièrement bon et aiment le pratiquer, à notre plus grand plaisir.
Nous rencontrons Paw, un jeune cambodgien qui, comme la grande majorité des hommes travaillant dans la zone touristique de Siem Reap, est conducteur de tuk-tuk. Nous l’engageons pour une journée à circuler dans le complexe des temples et, même si la communication est parfois compliquée par son anglais approximatif, nous découvrons en lui une personne profondément bonne, honnête et simple. Je ne sais combien de fois Paw nous a répété être trop heureux d’avoir du travail. Il nous confie qu’il a acheté son tuk-tuk il y a quelques mois et rembourse tant bien que mal le prêt qui lui a été accordé. Tant bien que mal car, même si il ne demande qu’à travailler, l’offre des tuk-tuks dépasse largement la demande, et il a un peu de mal à harceler les touristes comme le font trop d’autres conducteurs. Nous l’engageons pour plusieurs jours cette semaine, ayant décidé de passer 3 jours sur le site d’Angkor, et d’aller visiter le village flottant tout proche. Un jour, il nous emmène chez lui et nous présente à sa femme et sa petite fille de 18 mois. Tous trois, ils vivent dans une pièce de 18 mètres carrés environs, comportant un lit double, les accessoires de toilette et de cuisine dans un autre coin, et un petit autel consacré à Bouddha et aux esprits. En plus du prêt pour son tuk tuk et de son loyer, Paw aide financièrement ses parents, trop vieux et trop malades pour travailler. Il redoute le début de la scolarité de sa fille, ne sachant comment il y fera face. Touchés par ses difficultés, sa famille et la simplicité de son logis, nous tentons de l’aider tant bien que mal, lui envoyant par la suite plusieurs touristes rencontrés sur la route et à la recherche de bons plans pour la Cambodge. Et aux dernières nouvelles, ca fonctionne plutôt bien, à notre grande satisfaction.
Nous passons donc la semaine ensemble, à visiter l’immense complexe des temples d’Angkor. De difficiles réveils matinaux nous permettent d’assister au lever du soleil sur le temple d’Angkor Wat… parmi une foule d’au moins 300 autres touristes ! Et oui, nous ne sommes pas les seuls à être matinaux et à l’affut d’une belle photo et le site est particulièrement touristique (rien d’étonnant au vu de sa beauté). Nous fuyons vers des temples plus petits et moins courus, et nous amusons comme des gosses à jouer à Indiana Jones et Lara Croft, parcourant les couloirs labyrinthiques, escaladant les escaliers et les tas de pierre, et franchissant des portes pour découvrir de nouvelles salles et des ruines cachées parmi les racines des arbres qui s’y sont établis. Nous sommes séduits par ces vieux murs de pierre grise, couverts de lichens rouges et verts pâles, et par les énormes visages sculptés dans la pierre. Une merveille de notre monde qu’on ne voulait pas manquer, et qui vaut largement sa réputation. Après une semaine passée ici, il est temps de reprendre la route. Paw nous conduit à la gare routière et c'est la gorge nouée qu'on se fait nos adieux. Lors d’un arrêt du bus, on découvre quelques snacks cambodgiens surprenants: les araignées frites dans l’huile et l’embryon de poussin au sucre (un véritable embryon avec des ébauches de plumes et de petits os, beurk). Et pour ceux qui se poseraient la question, franchement non, nous n’y avons pas goûté, trop répugnants.
Même si c’est un très beau pays, nous avons trouvé le Cambodge rude au niveau sentimental : le fossé entre les classes sociales de cette société se creuse énormément, et les plus pauvres affichent ostensiblement leur très (trop) grande misère. Les difficultés de Paw à boucler ses fins de mois, la mendicité, présente partout nous ont laissé une boule dans la gorge : les enfants des rues, tellement nombreux et tellement présents, les victimes des mines antipersonnelles, etc.... me touchaient chaque jour énormément. Il suffit d’aller manger un bout sur une terrasse à Siem Reap, de parcourir les temples d’Angkor, de flâner le long de la rivière à Phnom Penh, ou de se prélasser sur la plage à Sihanoukville pour que les sollicitations à acheter ou à donner pleuvent sur le touriste. Vient alors la grande question éthique du « faut-il donner ou non ?». Pour nous, pas question de donner de l’argent à enfant qui mendie, OK pour l’emmener manger mais hors de question de l’encourager à tendre la main ou d’encourager les réseaux organisés de mendicité. Mais ce n’est pas toujours facile de dire non à ces bouts de chou adorables et pas plus hauts que 3 pommes qui nous lancent des regards implorants. Par contre, pour ce qui est des victimes des mines, il est difficile pour eux de survivre autrement dans une société totalement dépourvue de système social. Certains s’en sortent dignement, vendant des cartes postales ou créant de petits orchestres se produisant dans les allées des temples d’Angkor. Mais certains, amputés de tous leur membres, ne peuvent faire que mendier, et nous, leur donner. Franchement, je suis restée muette d’admiration et de respect face à ces hommes qui, après avoir fait un « mauvais pas » trouvent encore le courage de se battre pour vivre dignement.
Bien que le pays se relève petit à petit de son passé tourmenté encore récent, fait de guerres civiles, de la dictature inhumaine des Khmers rouges, des famines et épidémies qui se sont succédées, d’exodes de sa population terrorisée, on ressent encore aujourd’hui le passé tragique de ce peuple. Chaque Cambodgien de plus de 35 ans a vécu la faim, les maladies, les camps de travail, la peur de la torture et des camps d’extermination de l’atroce régime communiste des Khmers rouges, puis la peur des bombardements et des mines posées pendant toutes ces noires périodes. Nous visitons à Phnom Penh la tristement célèbre prison S-21, une école transformée en centre de torture sous le régime de Pol pot : boulversant. Plus de 20000 personnes ont été enfermées dans ses murs, dans de petites cellules de 80 cm sur 1.80m, forcées d’avouer des crimes « contre le régime » dont elles étaient le plus souvent innocentes ou qui n’avaient rien d’un crime (genre d’avoir eu une éducation universitaire). Le simple fait de porter des lunettes (y compris pour les enfants) était suffisant pour être considéré comme intellectuel et donc « à exterminer ». Une fois leur crime avoué, après des heures de torture ignoble en continu, elles étaient envoyées par convoi au centre d’extermination où les gardes les achevaient, menottées dans le dos et aveuglées par un bandeau, leur fendant le crâne à des coups de bâtons, avant de les enterrer par dizaines dans la même fosse. Beaucoup de corps ont été déterrés, mais l’érosion fait encore remonter des restes de vêtements et d’os sur les chemins que nous parcourons sur le site, nous faisant frémir d’horreur. Telle la visite d’un camp de concentration, ces lieux sont difficiles à encaisser, mais sont un nécessaire témoignage du terrible passé de ce pays.
Pour un peu plus de légèreté après ces visites macabres, nous partons respirer un bol d’air frais en bord de mer, à Sihanoukville. Phil y était passé il y a 5 ans de cela et est profondément surpris par le développement touristique qui a eu lieu ici en aussi peu de temps… la côte est bordée de resto et de bars au toit de paille. Nous profitons de la mer à 30°C et des plateaux fruits de mer et de poissons grillés au barbecue, dégustés le soir sur la plage, confortablement installés dans un fauteuil face à la mer sous la voie lactée. Très vite lassés de passer nos journées à faire les crêpes sur la plage (il nous aura fallu 2 jours !), nous partons explorer la région en mobylette… mais nous ne découvrons que des villages déserts et des paysages de désolation. On est presque à la fin de la saison sèche et en plein cœur de la saison la plus chaude, la température est difficilement supportable, les rizières sont brûlées par le soleil ou par le feu, et les gens se cachent à l’intérieur des maisons. Une nature morte et des gens cloitrés chez eux : on se croirait chez nous en hiver ! Nous reprenons la route vers Kratie, au nord est du Cambodge. Là aussi, dans la chaleur accablante, la vie tourne au ralenti. Dans la fournaise, nous partons découvrir une petite île et ses petits villages tranquilles aux maisons en bois sur pilotis…. Nous y rencontrons… des vaches, les seuls êtres à ne pas se cacher de ce soleil brûlant. Au cours d’une promenade en bateau sur le Mékong au coucher du soleil, nous avons aussi la chance de croiser plusieurs dauphins de l’Irrawaddy, une espèce fortement menacée dont il ne reste que 70 individus sur la partie cambodgienne de ce fleuve. Ayant lu cela, je suis plutôt pessimiste et, en montant dans le bateau, parie d’emblée que nous n’en verront aucun ce jour-là… le coquin a du m’entendre car il ne lui faudra que 15 secondes pour pointer le bout de son nez. Je suis sûre qu’il avait passé un accord avec Phil, qui gagne une bière du coup :-)… moi j’y ai gagné un moment magique, dans le calme du fleuve et la lumière du soleil couchant, à observer de petits groupes de dauphins venant passer la tête, les oiseaux s’envolant des centaines de petites îles au milieu des eaux et les pêcheurs sur leur barque lançant leur filet. Un moment magique avant de laisser le Cambodge derrière nous pour rejoindre le Laos, que nous avons tant aimé lors de notre précédente visite il y a 4 ans.
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