12 Septembre 2010 au 10 octobre 2010
Une fois la frontière du Togo franchie, nous arrivons en vue du poste frontière du Bénin… soudain, un doute me prend sur la date de notre visa pour le Bénin : vérification faite, effectivement, petite erreur de date, nous ne pouvons officiellement entrer au Bénin que demain. Mais nos passeports sont tamponnés, on est sorti du Togo, la frontière derrière nous ne délivre pas de visa, pas de retour en arrière possible. Oups, bien joué les loulous. Bon, un bic noir, un air sûr de nous et en avant. Phil a en plus la maladresse d’oublier un billet dans son passeport, ce qui éveille les soupçons du douanier, qui (même si il ne voit rien au petit changement effectué) croit qu’on veut le corrompre et se fâche un peu… un beau sourire et ça passe, le douanier n’y voit finalement que du feu et nous laisse passer… tututuduuu, « Bonne arrivée ! » comme on dit ici.
Un taxi brousse neuf places (qui en devient un 14), 357.000 km au compteur (à l’arrêt et probablement arrêté depuis 150.000 autres km vu l’état de la voiture, une espèce de carcasse à moteur) nous conduit vers Djougou par une piste défoncée… les pluies ont été particulièrement rudes cette année, et ont emporté toute la latérite ne laissant sur la « route » que la roche brute en escalier par endroits.
Le taxi brousse nous dépose dans le centre ville face à un marché incroyablement coloré… Dans cette ville à large majorité musulmane, les voiles des femmes volent dans leur sillage dans un superbe festival de couleurs, entre le rouge et le vert des étals de légumes, c’est splendide. Nous logeons au centre de formation des tisserandes de Djougou et proposons à la directrice de réaliser un reportage sur celui-ci, avec un texte et des photos qui lui permettront de créer son site internet. Elle est immédiatement emballée et nous propose d’élargir le sujet à d’autres artisans partenaires, un forgeron, un maroquinier, un cordonnier et une graveuse sur calebasse. L’ouverture d’un centre des artisans est prévue à Djougou 3 mois plus tard et les photos viendront à point. Nous restons donc à Djougou pendant une semaine, et visitons les artisans les uns après les autres, qui réservent un accueil très chaleureux aux Batourés que nous sommes ici… le Bénin commence bien, Phil est aux anges : on le prie de s’adonner à sa passion de la photo au lieu de l’en réprimander ! Nous sommes impressionnés par la souplesse religieuse qui règne dans cette région : ici, le musulman vit sa religion comme il l’entend, rien ne lui est imposé par le jugement d’autrui : il prie 5 fois par jour si il le veut, ou pas, les femmes portent le voile si elles (ou leur mari) le décident, etc .... Lors d’une séance photo, les apprenties ont l’idée de défiler vêtues des tissus qu’elles ont tissés… ces musulmanes voilées se mettent alors à se déshabiller, vêtements et soutiens-gorges volent en tous sens, nous laissant bouche-bée, et les voilà prêtes. Nous visitons aussi Taneka Coco, un petit village traditionnel, aux petites huttes coniques en terre et au toit de paille, dont les habitants appliquent encore les anciennes coutumes et s’en remettent à un chef féticheur, qui résout les problèmes de conflits ou d’infertilité par des sacrifices de poulets. A nouveau, l’appareil photo qui habituellement est un frein aux relations humaines en Afrique, en devient un moteur une fois que nous proposons au guide de partager les photos avec le village. Chacun veut son portait, le roi de la région y compris. Même les femmes peuhles avec leur coiffe et leurs parures de colliers et bracelets traditionnels viennent nous demander de leur tirer le portrait.
Une fois les photos remises à leurs destinataires respectifs, nous prenons le bus en direction de Cotonou, 450 km plus au sud. Trajet pénible sur routes défoncées : mes intestins n’ont pas supporté la nourriture mangée la veille dans un boui-boui de bord de route, je suis nauséeuse et ruisselante de fièvre dans le bus surchauffé, le trajet dure évidemment beaucoup plus longtemps que prévu… un des premiers moments pénible du voyage, mais on sait qu’il y en aura d’autres… Arrivés à Cotonou, on constate avec bonheur que notre guesthouse met à notre disposition une cuisine et la neuvième merveille du monde (Val, tu constateras que je me suis rangée à ton système de comptage) : une vraie MACHINE A LAVER généralement introuvable ici! Un peu de confort européen, on est tout heureux de pouvoir lessiver et cuisiner nous-mêmes (sans huile de palme bien entendu), le temps que je me remette un peu.
Le moyen de transport le plus utilisé à Cotonou, comme dans la plupart des villes du Bénin et du Togo est la moto. La plupart des hommes sans emploi ont reconvertis leur véhicule en Zem (moto taxi) et proposent de petites courses dans la ville au milieu d’une circulation dense et chaotique. Mais comme pour tout en Afrique, l’offre dépasse largement la demande et il s’ensuit une chasse effrénée au client potentiel : il suffit de lever une main pour se voir entouré de trois zems aux aguets. A chaque passage, ils te demandent "où où???" (DTC répondraient certains au bout d'un moment ;-). Alimentées pas des carburants provenant de la contrebande nigériane, ces motos émettent un maximum de fumées bleues, sillonnant la ville par milliers, et donnent à Cotonou un aspect enfumé et une atmosphère oppressante, bruyante et puante.
On profite de notre séjour à Cotonou pour visiter Ganvier, un village lacustre situé juste à côté, au fond d’une lagune. Ses habitants vivent essentiellement de pêche, les femmes venant vendre sur la terre ferme le produit de la pêche de leur mari. Les maisons sont construites sur pilotis. On y trouve, en plein milieu du lac, une mosquée, une église et le palais du roi de la région. Comme chaque année, suite aux fortes pluies arrosant le nord du pays, la lagune est en crue. Néanmoins cette année, son niveau est anormalement élevé pour la saison : toutes les maisons sont déjà sous eau en cette mi-septembre, malgré les pilotis, et les habitants décomptent avec désespoir les jours jusqu’à la fin théorique de la saison des pluies. On n’a jamais vu cela ici, on va droit vers une évacuation forcée des habitants du village. Conséquence alarmante et injuste du réchauffement climatique, qui se fait cruellement sentir dans ce petit village à faible émission de CO2, sans électricité et où la plupart des bateaux se déplacent non pas avec un moteur mais à la voile ou à l’huile de bras.
Suite au succès de notre premier reportage photo, nous décidons de continuer dans la même voie et prenons contact avec le directeur de Nature tropicale, une ONG protégeant la biodiversité au Bénin. On commence par une petite visite express de leur musée. Visite insolite en soi, faite en presque-français et avec des informations plus pratiques sur les us locaux que précises au niveau biologiques : « Ca poisson, cher sur marché », « ca hibou, important pour voodoo, on a du pousser pour faire rentrer dans bocal », "ca autruche, mais tête cassée »....Le directeur nous reçoit ensuite avec enthousiasme et nous propose de couvrir les activités de l’ONG à Grand Popo, une plage à l’ouest de Cotonou où elle travaille à la protection des tortues marines contre les activités des pecheurs. Le photographe et la biologiste ne se le font pas dire deux fois… nous voilà partis vers Grand Popo, un village de pêcheurs construit tout en longueur le long d’une belle plage bordée de palmiers. On débarque au Lion Bar, un petit hôtel rasta pas cher en bord de mer, et on y découvre un petit paradis caché. Il est entièrement peint aux couleurs emblématiques rastas, verte, jaune et rouge. Ses murs sont décorés de fresques représentant les points importants de cette culture et les plus célèbres rastas de l’histoire, il y a la chambre Peter, Bob, Zion, Lion, etc… Son resto sert de délicieux plats (végétariens bien sûr) et son bar des cocktails variés (c’est moins rasta ça, mais ça nous plait bien). Confort minime, la douche est toujours froide et les sanitaires toujours communs, mais ses 2 hamacs se balançant au bord de la plage le valent largement.
L’ONG pour laquelle nous sommes venus dans ce petit coin de paradis réaliser un reportage photo, Nature Tropicale, travaille à la conservation de la biodiversité au Bénin. Elle défend ici les tortues marines, qui sont chassées lorsqu’elles viennent pondre sur les plages ou se font piéger dans les filets de pêcheurs. En effet, malgré son statut d’espèce menacée et protégée, la tortue constitue un apport alimentaire ou financier loin d’être négligeable dans cette région très pauvre, et les pêcheurs qui en piègent une dans leurs filets n’ont pas spécialement tendance à la relâcher spontanément. Difficile de respecter la vie animale lorsque la vie humaine est tellement rude. Une petite équipe de bénévoles locaux travaille donc à la sensibilisation et à la surveillance. Le responsable local de l’ONG, Gaston, possède un impressionnant réseau de surveillance qui l’alerte dès qu’une tortue est repérée lors d’un retour de pêche des bateaux, lui permettant de rappliquer au plus vite et de négocier (le plus souvent par la menace des amendes) la libération de l’animal avec le pêcheur concerné. De plus, un important travail de recensement, avec mesures et marquage des individus, est en cours. Les bénévoles patrouillent aussi les plages en fin de nuit, à la recherche de traces de tortues et vérifient que celles-ci repartent bien vers la mer à partir du lieu de ponte. Ils récupèrent les œufs et les incubent jusqu’à éclosion, pour leur éviter de finir en omelette. Un travail qui s’étend déjà sur plusieurs années et a eu des effets positifs visibles sur l’accroissement des populations. Néanmoins, ce travail ne se fait pas sans représailles : un groupe de pêcheurs mécontents a récemment saccagé la maison de Gaston, le laissant sans domicile et avec un sentiment d’insécurité oppressant.
Nous sommes chargés de suivre Gaston dans ses activités. Ce travail se révèle vite être soumis à la mode de travail africaine : après une patrouille de nuit réalisée ponctuellement la première nuit, Gaston retrouve Phil à 4 heures du matin la nuit suivante avec un trop gros mal de tête pour effectuer la patrouille, mais pas assez de crédit (sur ses 3 GSM) pour le prévenir, puis, la troisième nuit, nous téléphone à 2h15 du matin pour connaître l’heure (ses 3 GSM ne devaient pas avoir de fonction horloge) et bien préciser que le rdv est à 4 heures, heure à laquelle il ne se présente pas, mais arrive avec 40 minutes de retard. Il nous prévoit aussi une tournée de sensibilisation auprès des pêcheurs un lundi, jour de congé de ces derniers. Comme souvent en Afrique, il est temps de recadrer la situation et de mettre nos limites. Nous continuons le reportage avec lui dans des horaires qui nous conviennent, répondant à l’appel aux moments, diurnes ou nocturnes, où une tortue se présente mais sans être bloqués par des rdv non respectés. De même d’un point de vue financier : avant même de commencer le travail, il nous demande d’emblée combien on est prêt à verser pour l’ONG ; nous lui expliquons que si nous sommes prêts à rendre service bénévolement et à payer les transports que cela implique, nous ne payerons pas le fonctionnement de l’ONG, et encore moins la reconstruction de sa maison.
C’est malheureusement une réalité très marquée dans ce pays : ici, le blanc rime avec argent, et Yovo avec cadeau. L’approche des gens est dans la plupart des cas d’abord intéressée et se résume à l’attrait de l’argent. Les Béninois essaient systématiquement de se faire un peu d’argent sur notre dos, mais ne gardent pas de rancune lorsqu’ils essuient un refus.
Nous passons le week-end avec Nico (Cousteau pour les intimes du cercle), un ami belge de l’ULB. Il travaille pour un projet de la coopération technique belge à Comé, la ville voisine où il gère la pêche à la crevette sur le lac Ahémé. Petit week-end détente, on profite du soleil, de la plage et il nous fait découvrir les bons petits restos de Grand Popo. On va à la grande soirée rasta du samedi soir du Lion Bar, renommée dans toute la région pour ses bons cocktails et le bon son reggae de Gildas, le patron, aux platines. Comme vous pouvez le sentir, nous avons donc beaucoup de mal à nous arracher de ce petit coin de paradis et à continuer notre périple…
Malheureusement, une fraude effectuée sur nos deux cartes visa nous rappelle à la réalité : elles vont être bloquées dans les jours à venir, nous laissant sans aucun moyen de retirer de l’argent dans cette région du monde où MasterCard n’existe pas. Retour forcé immédiat à Cotonou, car ici, de même que dans les 2 villes voisines, pas de distributeur, et pas de retrait Visa possible au guichet. Nous effectuons à Cotonou une tournée des banques, à la recherche d’un distributeur fonctionnel et approvisionné, que nous trouvons enfin après 5 tentatives infructueuses. Une fois nos bourses suffisamment pleines pour tenir le coup durant les prochaines semaines jusqu’à la livraison de nos nouvelles cartes visa par Europ Assistance, nous fuyons le gros nuage de Cotonou en direction de l’air pur de… Grand Popo. Ben oui, demain c’est samedi, soirée reggae et weekend détente avec Cousteau !
Et les photos:
de Djougou et Taneka Coco:
http://www.facebook.com/album.php?aid=218274&id=591557223&l=93017b93f3
de Cotonou et Ganvier:
http://www.facebook.com/album.php?aid=218572&id=591557223&l=a17acb12be
et de Grand Popo:
http://www.facebook.com/album.php?aid=218584&id=591557223&l=d75e606b5e
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