Made in Tibet

Après une confortable nuit dans un bus couchette (dont nous devenons des adeptes, oui !), nous arrivons presque frais et dispos (mais surtout frigorifiés par un climat montagnard glacial) à Shangri-La, à l’extrême nord ouest de la province du Yunnan, aux portes du Tibet, si ce n’est au Tibet même. En effet, ici, même si administrativement on est toujours au Yunnan, culturellement, on est au Tibet, mais sans les restrictions culturelles gouvernementales extrêmes appliquées à la population et, par conséquent, aussi sans rencontrer tous les problèmes du touriste voulant découvrir le Tibet au Tibet (obtention d’un permis, voyage obligatoire en tour organisé ou avec un guide, …).



Shangri-la est une ville perchée à 3200 mètres d’altitude peuplée à plus de 80% de Tibétains. On aperçoit les montagnes et les pics enneigés au-delà des limites de la « nouvelle » ville, qui s’est étendue tentaculairement autour de la vieille ville historique lors de l’impressionnante croissance chinoise de ces 3 dernières décennies. La nouvelle ville ressemble à toutes ces autres villes chinoises classiques. La vieille ville par contre, donne tout son caractère à Shangri-La : elle est parcourue de petites ruelles pavées, bordées de maisons traditionnelles en bois et au toit d’ardoises. D’innombrables drapeaux de prières aux couleurs des 5 grands éléments (l’eau, l’air, la terre, le bois et le feu) flottent au vent, lequel emporte les mantras imprimés et les transmet aux dieux. Sur leur passage, les habitants font rouler de leur main droite des moulins à prières alignés, disséminés dans la ville, la tête dans leurs prières. Une colline surmontée d’un temple avec un rouleau de prière doré géant surplombe la ville. Le matin, les pèlerins s’y rendent et, alignés les uns derrière les autres, le font tourner, en murmurant des incantations et en faisant glisser une à une entre leurs doigts les perles d’un mala de prières (un collier de perles en bois). Des grands-mères enseignent ces pratiques bouddhistes à de jeunes enfants aux joues rouge vif. Chaque soir, sur la grande place centrale, les habitants de la ville alignés en rond viennent danser sur des musiques traditionnelles, effectuant une chorégraphie connue sur le bout des doigts. A la limite de la ville, un monastère de plus de 300 ans abrite plus de 600 moines : c’est un peu le Potala du sud ouest de la Chine, et sa quiétude n’est perturbée que par la masse de touristes chinois d’origine Han qui viennent l’assiéger, le plus souvent totalement ignorants de ce que Pékin a fait et fait toujours subir au peuple tibétain colonisé dans le sang. Une ignorance liée à la censure de la presse, totalement contrôlée par Pékin, de même que l’information circulant sur internet (plus de 30.000 « cyberpoliciers » travaillent chaque jour à la censure du net, interdisant l’accès aux sites comportant des mots « interdits » ou aux sites d’échanges d’idées… pas étonnant donc que l’accès à des sites tels que Youtube, Wikipedia et Facebook soit banni). L’idée transmise dans les médias est que Pékin tente de sortir le peuple tibétain de son extrême pauvreté, en lui versant de nombreux subsides (qui existent peut-être mais qui finissent dans la poche de fonctionnaires corrompus et n’arrivent jamais au Tibet) et que les Tibétains, contre toute gratitude, se révoltent, tuant de nombreux soldats Han (il n’est jamais mentionné que de nombreux Tibétains ont perdu la vie ou « mystérieusement disparu » suite aux révoltes de 2008 à Lhassa, juste que de courageux militaires Han y ont été sauvagement assassinés).



Ces dernières années, Shangri-La est devenue très populaire auprès des touristes, particulièrement chinois. On y trouve donc une multitude d’hôtels, boutiques et petits bars et restaurants où aller se réchauffer près du feu en dégustant un bol de thé au beurre de yak (qui en fait est beaucoup moins mauvais que ce que ne laisse imaginer son nom, mais tout aussi calorique :-). Sur la place centrale, des femmes, avec leur coiffe traditionnelle et leur gros panier sur le dos, viennent installer leurs petites échoppes où elles vendent des bijoux et de petites brochettes de viandes et de légumes pour une bouchée de pain (la roulade de gras est aussi au menu). On peut même y louer des tenues traditionnelles tibétaines, robes à fourrures, et poser pour la photo sur un yak … comme vous pouvez l’imaginez, les touristes chinois adorent le concept (moi j’en ai un peu les dents qui grincent).



Nous partons pour un trek de 2 jours à la découverte de la culture tibétaine, avec Tenzin, notre guide originaire de Lhassa, et Yuangya, une étudiante chinoise de 22 ans d’origine Han. Nous traversons de grands plateaux d’herbes rases sous un ciel d’un bleu presqu’aveuglant, ne croisant que des troupeaux de yaks. Les villageois sont aux champs, et les villages très épars dans ces espaces immenses. Nous escaladons des montagnes, encore plus rapidement essoufflés qu’à notre habitude, probablement suite à l’altitude (les excuses sont faites pour s’en servir, non ? :-)). A nouveau, la surexploitation et l’érosion du sol font peur à voir, surtout ici où, d’origine, l’homme vivait en harmonie avec la nature. Le soir, nous arrivons dans le village où nous passerons la nuit. Le soleil se couche relativement tard ici, nous profitons du début de soirée pour suivre les activités de notre hôte et comprendre la structure familiale locale. Les femmes enfantant généralement très jeunes, un minimum de 4 générations se côtoient dans chacune des maisons (vous imaginer devenir grands-parents à 35 ans - ici c’est courant). Pendant la journée, les parents bossent, le plus souvent dans la ville la plus proche, assurant un revenu financier à la maisonnée. Les grands parents gardent les jeunes enfants (souvent au nombre d’un seul, même si les minorités ethniques sont normalement exemptes de la politique de l’enfant unique de Pékin, elles ne sont pas non plus aidées pour supporter les coûts de l’enseignement de plus d’un enfant et s’y limitent souvent). Les grands parents s’occupent aussi du bétail et des tâches ménagères, et préparent du fromage de yak et du pain.


Malgré la barrière du langage, nous passons tous ensemble une agréable soirée autour du feu, partageant un repas « à la chinoise » (c’est-à-dire composé d’au moins 6 plats différents pour accompagner le riz) autour du feu, et finissons la soirée en buvant un thé. La grand-mère se renseigne sur la situation matrimoniale de Yuangya, et apprenant qu’elle est toujours célibataire, par delà les tensions entre Tibétains et Chinois, essaie de la convaincre de rencontrer son fils du même âge. La demoiselle s’en sort en ignorant timidement les tentatives de la vieille tibétaine. Nous passons la nuit écrasés sous un empilement de couvertures au moins aussi lourd que nous, mais bien au chaud malgré les températures négatives régnant dehors! Le lendemain matin, la mamy insiste pour que les filles essayent les tenues traditionnelles locales, et comme la dernière fois, ca ne va qu’à elle :-). Après un délicieux et énergétique petit déjeuner local composé de pain, de fromage de yak saupoudré de sucre, et d’un bol d’orge humidifié dans du thé au beurre de yak, nous reprenons notre route au travers de paysages déserts, découvrant des chortens (la forme tibétaine du stupa) ornés de drapeaux de prières multicolores au sommet des montagnes. Nous finissons le trek par une petite balnéo locale, en allant détendre nos muscles dans une piscine collectant l’eau des sources chaudes voisines…



Le jour de notre arrivée à Shangri-La, nous avions rencontré Suzie, une australienne travaillant dans une petite association de promotion de l’artisanat tibétain. Phil lui avait promis un reportage photo qui occupera les quelques jours qui suivent. Les artisanes travaillant dans l’association sont ravies et décident de porter leurs plus beaux habits traditionnels pour le jour du shooting. Ces femmes sont originaires de villages reculés et extrêmement pauvres de la région. Elles apprennent ici les techniques et sont payées au prorata de leur production. Les produits sont vendus aux touristes, ce qui donne à l’association sa vitrine commerciale officielle car les ONG officielles ne sont pas autorisées en Chine (vu qu’elles sont subsidiées par des fonds extérieurs, elles pourraient être influencées par des idéologies extérieures, que Pékin prend pour une menace). Nous rencontrons les autres membres de l’association, dont Tachi, un jeune tibétain originaire de Lhassa. Il nous fait découvrir les coins sympas de la ville, les monastères la surplombant avec des vues magnifiques au coucher du soleil, les bons restos typiques tibétains servant des plats permettant de résister aux hivers glacials de la région (avec, entre autres, une délicieuse viande de chèvre dégoulinante de beurre de yak qu’il nous faudra 3 jours pour digérer). Nous passons une soirée dans une boîte locale, assis autour du poêle avec d’autres clients à siroter un alcool de riz en regardant les danseurs effectuer à la lettre leur chorégraphie sur des musiques tibétaines… et oui, ici sortir en boîte, c’est du sérieux !



Le lendemain, nous prenons la route pour Lijiäng. Notre bus traverse les Tiger Leaping Gorges, des gorges magnifiques, particulièrement escarpées, qui seront bientôt inondées en vue de la création d’un nouvel immense barrage hydro-électrique, pour pourvoir aux besoins en énergie sans cesse croissants du pays (c’est le même genre de super projet à faire dresser les cheveux des environnementalistes que le barrage des 3 gorges). Nous profitons donc au maximum de ces paysages que nous ne reverrons probablement jamais. Nous arrivons ensuite à Lijiäng, dont la vieille ville est bâtie de maisons grises aux toits d’ardoises, recourbés à leur extrémité, construites entre les petits canaux parcourant la ville. C’est en quelque sorte la « Bruges de Chine », un dédale de ruelles, de canaux et de petits ponts les surplombant…. Un charme fou, mais il y a un mais : cette ville est extrêmement populaire auprès des touristes chinois, dont la masse mouvante et bruyante lui enlèvent une grande partie de son charme et lui donnent parfois un air de Disneyland. Manque de bol, en descendant un des nombreux escaliers de la ville, je ne remarque pas le trou dans le sol succédant à la dernière marche et me foule la cheville… grande idée avant d’arriver au Népal, notre prochaine destination et aussi le pays des treks ! Bon, suite à ce mauvais pas, je ne verrai de Chengdu que son hôpital mais aurait profité de l’occasion pour découvrir de la Chine un autre de ses aspects : sa médecine traditionnelle et cette drôle de pâte noire épaisse et un peu puante, qu’on applique directement sur l’endroit blessé… Résultat : ca chauffe longtemps après application et, après 3 jours d’immobilisation et d’application, ma cheville semble aller mieux… à nous les hauts sommets enneigés de l’Himalaya que nous apercevons depuis le hublot de l’avion qui nous emmène à Katmandu ?



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